L’exposition est réussie ; mais que ces vernissages sont ennuyeux !
Tous ces avertis endimanchés qui blablatent et se passent de la pommade, ça m’exaspère. Cette façon qu’ils ont tous de s’émerveiller du moindre bout de carton conceptualisé m’afflige.
Alors je déambule, à la recherche d’une issue providentielle et temporaire. Je ne peux pas plier bagage, j’ai des obligations. Au bout d’une énième salle, je l’aperçois. Je me souviens de son sourire, mais pas de son prénom. Tant pis, je vais quand même aller la saluer. Elle a peut-être aussi oublié le mien.
Elle paraît ravie de me revoir. Sûrement qu’elle veut s’enfuir d’ici aussi. On discute de tout et de rien : de nos vies, de nos goûts artistiques, de nos occupations, mais pas du temps qu’il fait. C’est déjà ça. Elle est enchantée par cette exposition, qu’elle ne se lasse pas de contempler, mais semble très captée par ma présence et ne semble pas pressée d’y retourner. Cela fait des années que l’on ne s’était pas croisé et tant d’intérêt me fait chaud au cœur ; mais ça m’intrigue aussi. On se connait peu.
Notre discussion tourne maintenant autour de nos rares connaissances communes. L’une d’entre elles, un grand germanique dont j’ai aussi oublié le prénom, est l’un de ses meilleurs amis. Je me souviens bien de lui, parce qu’il y a trois ans, on a passé une agréable soirée ensemble à boire des verres à un triste mariage, qui s’est encore plus tristement terminé cette année. Mais bref, ce n’est pas le sujet. Je reprends mes esprits et poursuis le recensement de nos fréquentations.
On gravite dans des milieux très différents, et sa vie de famille est plus intense que la mienne. Alors elle sort peu. Elle a un fils en bas âge qui l’occupe beaucoup. Elle le cherche du regard d’ailleurs, elle veut me le présenter. Je ne suis pas spécialement emballé par cette idée, mais elle a l’air d’y tenir. Notre discussion reprend, mais je repense à cette soirée de mariage. Le grand germanique, que j’avais intimement décidé d’appeler Karl, faute de mieux, m’avait confié avoir une amie proche qui était folle amoureuse de moi, mais qui n’avait jamais osé faire le premier pas, car je l’intimidais. Karl ne m’avait pas donné plus de détails ; la vie avait continué son chemin, et son amie était désormais mariée et maman. Son histoire m’avait troublé. Je n’ai jamais su qui, dans mes fréquentations d’alors, aurait bien pu être à ce point intimidé. Mais comme je n’ai malheureusement pas la faculté de lire les pensées des gens, c’est resté un mystère.
Le brouhaha ambient a faibli. Le vernissage touche à sa fin, et les pique-assiettes habituels ont déguerpi. Ma compagne refait surface, ravie d’avoir pu enrichir son réseau professionnel. Nous sommes aussi sur le point de partir quand un petit être haut comme trois pommes surgit. Sa maman est toute heureuse de le retrouver, presque soulagée. Elle se tourne vers moi pour fièrement me présenter son fils, qui à ma grande surprise, a le même prénom que moi. Elle m’a annoncé ça avec des étoiles plein les yeux. Elle a aussi ressenti le trouble que ça m’a provoqué en m’enlaçant pour me dire au revoir. Karl m’en avait en fait presque trop dit.
PAR ERIC NOLA