Salut ! Mon nom est Sébastien. C’est pas extraordinaire, mais bon ! Je suis né dans cette maison, et je n’ai rien eu à dire. Laurent le fils aîné a voulu m’appeler comme ça ! Ça va faire bientôt cinq ans que l’on vit ensemble avec son jeune frère, Olivier et Roger le mari de Marianne, ma maîtresse.
Ils ont la remuotte, deux ans ici, deux ans là. On habitait Limoges, une maison sympa, en ville avec cour où je me gavais d’hirondelles ! J’étais absent quand ils ont trouvé le tas d’ailes, oui, il faut dire, je les mangeais pas : trop de plume et pas assez de viande, alors je les laissais à la cave près du charbon. J’ai pas fait les comptes mais une par jour tout l’été, je me portais bien, grassement même…
À mon troisième printemps, on est parti. Vers le sud, la mer. Huitième étage, pas de tilleul et pas de cour, j’étais grave coincé sur la terrasse en béton ! Eux semblaient heureux au soleil, mais moi, je trouvais le temps long et l’appartement bien petit.
Deux étés et on bouge ! Youpi ! Direction la plaine des Maures, un village vers Gonfaron. C’était beaucoup mieux. Pas de ciment, une cour avec de l’herbe, des arbres, et des oiseaux ! De toutes sortes… Je me suis vite remis au sport, et repris du gras.
J’étais certain qu’il y avait des choses à faire dans ce village. J’ai visité, et fait des découvertes : un après-midi comme les autres, ensoleillé, enchanté par les cigales, je suis arrivé au pied d’une tour où demeuraient plein de chats, surtout des chats de gouttière, et puis aussi, et surtout, des siamoises ! Avec des yeux bleus !
Je serais bien resté plus longtemps à les admirer et leur faire la causette lorsque tout à coup, deux balaizes me sont tombés dessus ! J’ai pris une dégelée, j’avais les entonnoirs à musique en sang. Je me suis promis de revenir rapidement régler mes comptes !
Les cicatrices de mes oreilles tout juste guéries, de bon matin, je me suis faufilé jusqu’au Castellas, je me suis planqué en attendant de retrouver mes deux affreux ! Le rouquin est arrivé en premier la queue dressée fièrement, avec la démarche nonchalante du caïd. Je lui ai sauté sur le poil et flanqué une dérouillée en deux temps trois mouvements. Je l’ai démoli ! J’en ris encore au souvenir des cris qu’il lâchait en se sauvant !
Le raffut avait sonné le rappel, et son collègue est arrivé, ventre à terre dans l’idée de me faire passer mes envies de vengeance.
Oui, mais cette fois, je l’attendais…
Je l’ai cueilli par une dextre sur le museau, je lui ai arraché la moitié de la narine gauche. « Ça fait mal ? » et sans le laisser me répondre, de l’autre patte je lui ai « fait » l’oreille droite en stéréo !
« Tu entends mieux maintenant ? Bon, alors dégages et que je ne te revoie plus ».
Ah, que c’est bon le sentiment du devoir accompli.
Tout ça m’avait donné de l’appétit, et la gent féminine, siamoises en tête, assemblée en haut de l’escalier pour applaudir le vainqueur, j’en ai fait le tour et recueilli les lauriers, puis les ai honorées une à une, avec application, une semaine durant. « Appelez-moi Sébastien le Niçois ! Allez, ciao les filles ! »
PAR PATRICE COUSIN